20
Sep
2024

Lettre d'espoir

Chère Caroline de 2008,

Tu quittes le chemin tracé hier par les adultes, car c'est toi qui deviens adulte aujourd'hui.

Tu vivras mal les choix déjà faits pour toi, et tu te sentiras revivre en t'y opposant.

Cependant, tu réaliseras bien vite qu'il n'y a aucun bonheur dans une rébellion qui détruit sans construire, car en imaginant le futur, tu ne verras toujours qu'un tunnel noir.

Ta force sera de te souvenir qu'enfant, tu rêvais d'infinis possibles, radieux, et de continuer à croire qu'ils dorment quelque part en toi.

Tu chercheras tes rêves dans le militantisme pour tes idéaux, dans l’expérimentation artistique, dans la fusion relationnelle.

Tu réussiras dans les trois et tu échoueras dans les trois, jusqu’à comprendre que ton identité, ta valeur, ton essence, ne se situent ni dans tes opinions, ni dans tes productions, ni dans l’approbation de ton entourage.

Tu seras trahie, tu seras abandonnée.
Tu seras l'objet de calomnies en cherchant le compromis.

Tu te sentiras vide.

Et à la dixième fois, tu comprendras que ce vide béant n'est pas ton insuffisance.
C’est la place pour ton futur radieux, libérée par tes rêves qui n’ont jamais dormi.

Merci d’avoir cru en moi et persévéré.
Sans toi, je n’existerais pas.

Avec amour et gratitude,

Caroline, heureuse en 2024

21
Feb
2024

外婆

En Chine, on ne place pas nos aînés en maison de retraite, ils vivent avec leurs enfants et élèvent avec eux leurs propres enfants.

La grand-mère qui m'a élevée est partie brutalement la semaine dernière, auprès de mes tantes à Wuhan. Nous n'avons pas pu lui dire au revoir, nous ne pourrons pas déposer d'offrandes sur son autel, et surtout, pour la première fois de ma vie, je dois vivre le deuil sans pouvoir me recueillir devant la dépouille.

J'ai échangé avec une demi-douzaine de personnes ayant elles aussi perdu quelqu'un sans pouvoir voir le corps. Des histoires poignantes et des regrets.

Le meilleur conseil que j'ai reçu m'a été donné par ma cousine Cécile : faire le deuil dans la matière. S'il n'est que dans ma tête, comme une théorie qu'on pourrait remettre en question, je ne pourrais pas rompre le cycle progressivement infernal des périodes où la personne ne semble pas vraiment partie suivies de celles où je réalise à nouveau son départ.

Alors, je prévois d'organiser des funérailles chez moi, seule, en me représentant son corps au travers d'un portrait tiré sur du papier de soie. Et pour m'adresser à elle dans la seule langue que l'on a partagée, je réapprends le mandarin en chantant des comptines chinoises.

01
Jan
2024

Écouter le corps

Depuis mon hospitalisation, il m'a fallu m'adapter non seulement au fait d'être diminuée sans en connaître la raison, mais aussi à ce que mes états émotionnels les plus intimes se traduisent désormais en états corporels. J'ai des amis qui somatisent tout, grâce auxquels j'ai depuis longtemps connaissance de l'existence de ce phénomène, mais c'est autre chose de le subir soi-même, du jour au lendemain.

La première année, comme mes amis, je le vivais comme un véritable handicap dont je me serais bien passée : c'est déjà pénible en soi de ressentir de l'angoisse ou de la colère, alors pourquoi en rajouter une couche avec des problèmes de peau, d'articulation ou de digestion...

J'ai commencé à changer de point de vue lorsque j'ai déménagé à Dijon, loin de la frénésie et de l'insécurité de Guillotière. Oui, les maux de dos et de ventre que j'avais développés en conséquence de mon quotidien dans ce quartier étaient physiquement handicapants. Mais si cela avait été plus supportable, ne m'en serais-je pas accommodée, et me serais donc privée d'un meilleur environnement quelques années de plus ? C'était chaotique, inconfortable, mais cela m'a poussée pour le mieux.

Ma démarche générale a commencé par un retour au stoïcisme : accepter ces réactions corporelles que je ne peux pas changer, accueillir les crises tout comme les émotions désagréables qui doivent nous traverser avant de repartir ; et ensuite concentrer mon attention sur ce sur quoi je peux réellement agir.

Désormais, je me sers de cette sensibilité physique à la fois comme moteur pour une vie meilleure, et comme instrument de mesure de la justesse de mes choix. Depuis mes fiançailles, le dernier symptôme du SIBO qui subsistait a complètement disparu. Je vivais normalement depuis mon dernier traitement, je vis aujourd'hui comme si je n'avais jamais été malade.

21
Dec
2022

Ce que j'ai appris de mon hypothyroïdie

Aujourd'hui commence l'hiver 2022, et nous sommes à exactement six mois du jour où j'ai reçu le résultat des analyses hormonales les plus poussées que j'ai jamais faites. Elles annonçaient une hypothyroïdie assez sévère doublée d'une petite fatigue surrénale, constituant par ailleurs des facteurs certains des récidives de mon SIBO.

Beaucoup de médecins se contentent de mauvais indicateurs

Avant de rencontrer mon médecin fonctionnel actuel, les suspicions d'hypothyroïdie à mon encontre s'arrêtaient après un simple dosage de la TSH (thyroid-stimulating hormone). Non seulement les normes actuelles sont trop larges, mais de plus, une TSH impeccable n'indique rien de la conversion de la T4 (thyroxine, hormone thyroïdienne peu active) en T3 (triiodothyronine, hormone thyroïdienne active). Il convient donc de doser également et surtout la T4 libre, la T3 libre et la T3 reverse.

Ajoutons à cela que tout souci de santé est une affaire de symptômes avant les chiffres. Des analyses sans anomalie ne prouvent pas que l'on a zéro souci, uniquement que l'on n'a rien détecté. Malheureusement, on se voit beaucoup trop souvent dire que tout est dans la tête sur la seule base d'examens encourageants, alors qu'on se tord de douleur, qu'on ne digère plus rien, qu'on se restreint à une demi-vie.

Ce n'était ni le psychologisme, ni le capitalisme

Toute personne m'ayant côtoyée durant ma vingtaine m'a connue dans cet "état ralenti", dans lequel je me trouvais depuis si longtemps qu'il constituait ma norme. Outre tous les symptômes classiques comme le corps froid, les migraines, les douleurs musculaires, le réveil difficile... je me sentais souvent faible, dénuée d'énergie et de volonté, dans une sorte de torpeur permanente. Je culpabilisais d'être un poids pour mes camarades de classe, mes colocataires, mes amis, en me condamnant moi-même à l'impuissance ; mes échecs réguliers entretenaient un cercle vicieux de manque de foi et d'abandon prématuré, dans tout ce que j'entreprenais.

Or, entre la moitié de mon entourage qui attribuait cela à un manque d'ambition et le réduisait à sa dimension psychologique, et l'autre moitié qui ramenait tout au capitalisme et autre coupable systémique, je ne m'étais jamais dit que mon métabolisme était déréglé.

Un trouble mental se soigne aussi par le corps

Bien sûr, ce fameux "état ralenti" était multifactoriel, et il est difficile de démêler certaines corrélations des causalités. Mais il est intéressant d'en isoler certaines pour réaliser le poids de chacune. J'ai commencé à traiter cette hypothyroïdie trois ans après avoir cessé de prioriser la souffrance du monde, deux ans après avoir changé radicalement d'environnement — lieu de vie et entourage. Le gain d'énergie et de bien-être a été impressionnant à chaque étape, et vraiment spectaculaire sur la dernière.

J'en tire aujourd'hui la compréhension de l'écrasante pénibilité ressentie pendant les dix années les plus difficiles de ma vie, et le soulagement d'en être sortie.

15
Oct
2022

L'utilité de la futilité

Durant mon dernier passage à Lyon, un ami évoquait différents chevaux de bataille de sa petite amie, dont le rejet de tout signe de superficialité, illustré par l'exemple des cheveux longs.
C'est vrai, lui dis-je, les cheveux longs, c'est futile, c'est beaucoup d'entretien et d'attention, cela divertit de ce qu'on a de plus important à faire.

Mais de mon côté, c'était une diversion utile.
Alors que ma maigreur devenait un rappel constant de ma santé déplorable, soigner mes cheveux était la dernière connexion agréable que je pouvais entretenir avec mon corps, et les voir pousser était un espoir que je n'étais pas complètement foutue.

Bien sûr, comme toujours, c'est la dose qui fait le poison.
J'ai été, plus jeune, complètement obsédée par mon grain de peau après des années d'acné sévère, et tout ce temps passé à scruter mon visage aurait pu être consacré à, au hasard, apprendre une langue.
Le temps, l'argent et l'énergie que certains proches investissent dans des activités qui ne leur font aucun bien significatif au-delà d'un seuil franchi depuis longtemps, est un gâchis qui me désole
Tout comme je déplore que tant de personnes qui ne s'aiment pas, concentrent leurs efforts sur leur apparence ou leurs possessions matérielles.

Le futile immodéré est un symptôme de déni de la gravité de nos soucis, de fuite des responsabilités qui nous incombent, de superficialité.
Mais avant ce stade, le futile est une interruption de nos difficultés qui les allège, une pause qui recharge notre réserve de courage, une aide à patienter à l'extérieur en attendant que cela s'arrange à l'intérieur.

Je suppose que le principal est d'éviter, en voulant adoucir le voyage, d'entamer un si grand détour du chemin escarpé qu'on en finit à contresens.

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