28
Oct
2025

La facette mère

28 Oct 2025

Je suis maman depuis deux mois.

En réalité, j'ai commencé à intégrer physiquement cette facette lorsque je suis tombée enceinte. Je dirais même que je l'apprivoisais déjà lorsque j'imaginais fonder une famille.

On pourrait penser que toutes ces années passées à me projeter et à me documenter sur la parentalité, puis neuf mois de gestation à sentir le bébé prendre forme, bouger et enfin arriver, permettraient une transition douce, pas à pas, et ce, même en tenant compte de la brutalité intrinsèque à sa mise au monde. Et je crois avoir anticipé tout ce qui pouvait l'être : changements hormonaux, modifications cérébrales, récupération de l'accouchement, hachures du sommeil...

Au final, rien ne m'a réellement préparée à la sauvagerie avec laquelle cette multitude de bouleversements allait me submerger.

Du rien mère au tout mère

Je m'étais doutée que j'entrerais dans un mode survie les premiers mois, pour la protection de mon fils à l'état de nourrisson ; je n'avais pas idée d'à quel point je plongerais. La dernière fois que le quotidien m'avait inspiré un tel tunnel d'inquiétudes et de solitude, c'était à mes 18 ans en classe préparatoire... l'année qui avait marqué le début d'une dépression que je n'ai surmontée qu'au bout de dix ans.

Ce qui me protège aujourd'hui d'une nouvelle dépression est la vision d'un avenir au chaud, en famille dans une belle maison.

J'ai néanmoins noté un phénomène commun : dans ces deux situations, le basculement, du jour au lendemain, dans ce fameux mode survie, a déclenché une crise identitaire. Aujourd'hui, et jusqu'à ce que le mode survie ne soit plus d'actualité, ma vie tourne autour des besoins primaires de mon petit, ce qui implique que depuis sa naissance, la facette mère éclipse les autres.

Mère qui rayonne vs mère qui absorbe

Si j'étais heureuse d'incarner une mère nourricière, celle qui répand son amour et multiplie sa joie, je souffre dans le rôle de la mère sacrificielle, celle qui se prive pour les autres et s'amenuise dans l'angoisse.

C'est d'autant plus difficile entre les remarques déphasées d'un entourage hermétique à l'idée qu'une jeune maman, au lieu de simplement se dire comblée, pleure d'épuisement et se mure dans le silence à force d'être déçue en espérant empathie et soutien.

Ce décalage s'est particulièrement illustré dans les messages que j'ai reçus pour mes 35 ans. Oui, j'avais le plus beau des cadeaux... Non, ce n'était pas un de mes meilleurs anniversaires : j'étais complètement à cran, sans compter que j'ai fini aux urgences pour un engorgement qui évoluait en mastite.

Néanmoins, lorsque j'entends les arguments des "child-free" qui espèrent que je leur confirme un récit d'enfer sur Terre, je ne peux que leur souhaiter de cesser de confondre bonheur et confort. Je ne regretterai jamais d'avoir troqué les grasses matinées pour les instants de grâce qui ponctuent inopinément chaque jour que Dieu fait.

Le post-partum, une expérience individuelle

En bref, je n'ai jamais été aussi peu encline à recevoir les avis de chacun sur ce que je suis censée ressentir. Depuis deux mois, la facette mère me remplit et me bouffe, et c'est à moi seule de le dire.

16
Aug
2025

Neuf mois de toi

Mon fils, j'ai rêvé de toi pour la première fois il y a cinq ans, au crépuscule de ma vingtaine ; une décennie entière où, dans un corps qui se désagrégeait lentement, je me persuadais que je ne voudrais jamais d'enfants.

Tu m'as appris l'humilité dans la prédiction de mes aspirations de demain, et grâce à toi, je leur reste fidèle dans leur impermanence.

Mon fils, je me suis installée avec ton père il y a trois ans, après deux longues années d'errance médicale supplémentaires, sans réelle piste d'amélioration ; lui organisait déjà notre futur pour préparer ton arrivée.

Tu m'as appris à remplacer "il mérite mieux que moi" par "il mérite que je fasse tout pour guérir", et grâce à toi, l'enfer a enfin pris fin.

Mon fils, tu as été conçu il y a neuf mois moins une semaine, la dernière avant que les médecins planifient ton existence ; mon ventre avait pris de l'avance sans prévenir, et tu t'es précipité pour t'y nicher.

Tu m'as appris que c'est la vie qui décide réellement, surtout en ce qui concerne la Vie elle-même… Grâce à toi, nous serons bientôt trois.

20
Sep
2024

Lettre d'espoir

Chère Caroline de 2008,

Tu quittes le chemin tracé hier par les adultes, car c'est toi qui deviens adulte aujourd'hui.

Tu vivras mal les choix déjà faits pour toi, et tu te sentiras revivre en t'y opposant.

Cependant, tu réaliseras bien vite qu'il n'y a aucun bonheur dans une rébellion qui détruit sans construire, car en imaginant le futur, tu ne verras toujours qu'un tunnel noir.

Ta force sera de te souvenir qu'enfant, tu rêvais d'infinis possibles, radieux, et de continuer à croire qu'ils dorment quelque part en toi.

Tu chercheras tes rêves dans le militantisme pour tes idéaux, dans l’expérimentation artistique, dans la fusion relationnelle.

Tu réussiras dans les trois et tu échoueras dans les trois, jusqu’à comprendre que ton identité, ta valeur, ton essence, ne se situent ni dans tes opinions, ni dans tes productions, ni dans l’approbation de ton entourage.

Tu seras trahie, tu seras abandonnée.
Tu seras l'objet de calomnies en cherchant le compromis.

Tu te sentiras vide.

Et à la dixième fois, tu comprendras que ce vide béant n'est pas ton insuffisance.
C’est la place pour ton futur radieux, libérée par tes rêves qui n’ont jamais dormi.

Merci d’avoir cru en moi et persévéré.
Sans toi, je n’existerais pas.

Avec amour et gratitude,

Caroline, heureuse en 2024

21
Feb
2024

外婆

En Chine, on ne place pas nos aînés en maison de retraite, ils vivent avec leurs enfants et élèvent avec eux leurs propres enfants.

La grand-mère qui m'a élevée est partie brutalement la semaine dernière, auprès de mes tantes à Wuhan. Nous n'avons pas pu lui dire au revoir, nous ne pourrons pas déposer d'offrandes sur son autel, et surtout, pour la première fois de ma vie, je dois vivre le deuil sans pouvoir me recueillir devant la dépouille.

J'ai échangé avec une demi-douzaine de personnes ayant elles aussi perdu quelqu'un sans pouvoir voir le corps. Des histoires poignantes et des regrets.

Le meilleur conseil que j'ai reçu m'a été donné par ma cousine Cécile : faire le deuil dans la matière. S'il n'est que dans ma tête, comme une théorie qu'on pourrait remettre en question, je ne pourrais pas rompre le cycle progressivement infernal des périodes où la personne ne semble pas vraiment partie suivies de celles où je réalise à nouveau son départ.

Alors, je prévois d'organiser des funérailles chez moi, seule, en me représentant son corps au travers d'un portrait tiré sur du papier de soie. Et pour m'adresser à elle dans la seule langue que l'on a partagée, je réapprends le mandarin en chantant des comptines chinoises.

01
Jan
2024

Écouter le corps

Depuis mon hospitalisation, il m'a fallu m'adapter non seulement au fait d'être diminuée sans en connaître la raison, mais aussi à ce que mes états émotionnels les plus intimes se traduisent désormais en états corporels. J'ai des amis qui somatisent tout, grâce auxquels j'ai depuis longtemps connaissance de l'existence de ce phénomène, mais c'est autre chose de le subir soi-même, du jour au lendemain.

La première année, comme mes amis, je le vivais comme un véritable handicap dont je me serais bien passée : c'est déjà pénible en soi de ressentir de l'angoisse ou de la colère, alors pourquoi en rajouter une couche avec des problèmes de peau, d'articulation ou de digestion...

J'ai commencé à changer de point de vue lorsque j'ai déménagé à Dijon, loin de la frénésie et de l'insécurité de Guillotière. Oui, les maux de dos et de ventre que j'avais développés en conséquence de mon quotidien dans ce quartier étaient physiquement handicapants. Mais si cela avait été plus supportable, ne m'en serais-je pas accommodée, et me serais donc privée d'un meilleur environnement quelques années de plus ? C'était chaotique, inconfortable, mais cela m'a poussée pour le mieux.

Ma démarche générale a commencé par un retour au stoïcisme : accepter ces réactions corporelles que je ne peux pas changer, accueillir les crises tout comme les émotions désagréables qui doivent nous traverser avant de repartir ; et ensuite concentrer mon attention sur ce sur quoi je peux réellement agir.

Désormais, je me sers de cette sensibilité physique à la fois comme moteur pour une vie meilleure, et comme instrument de mesure de la justesse de mes choix. Depuis mes fiançailles, le dernier symptôme du SIBO qui subsistait a complètement disparu. Je vivais normalement depuis mon dernier traitement, je vis aujourd'hui comme si je n'avais jamais été malade.

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