17
May
2025

La famille choisie

Au début de ma vingtaine marquée par les conflits familiaux, deux ruptures amoureuses fracassantes et une belle blessure d'abandon, je m'étais persuadée que ma stabilité sociale et ma sécurité affective passeraient par une nouvelle forme de famille choisie, mêlant amitiés durables et amours plurielles.

J'étais arrivée à cette conclusion car les premières m'apportaient une illusion de permanence dans les relations, les secondes la croyance que sans exclusivité sentimentale ni sexuelle, il n'y aurait plus de dilemmes ni de trahison.

J'ai cessé d'exister en tant que "copine de", j'ai appris la compersion et désappris la jalousie, j'ai énormément grandi, j'ai gagné en estime de moi-même, et j'ai vécu des relations extraordinaires, des connexions intenses que je n'osais pas envisager auparavant... Aimée, je l'étais, je n'en doutais plus.

Cependant, les années passant, mes amis poursuivaient leurs rêves ailleurs et mes amours me négligeaient pour leur dernier coup de cœur. Je prônais la liberté absolue en croyant être pleinement choisie ; au final, je n'étais le choix de vie de personne. Et je souffrais de cette absence de réel ancrage.

Retour au couple traditionnel

Après ma crise de sens lors du premier confinement du Covid-21, je me suis promis d'entamer ma trentaine en sachant où aller, et surtout avec qui.

Aussi, lorsque celui qui deviendra mon mari m'a approchée, j'ai accepté de le rejoindre à la condition que nous voyions notre futur ensemble : puisqu'il aspirait à devenir papa, j'attendais de lui qu'il projette d'ores et déjà de fonder cette famille avec moi.

C'est ce que nous avons construit depuis, dans un amour réconfortant comme un feu de cheminée, alimenté en nous choisissant avec conscience jour après jour... et qui, pour tenir sur le long terme, exige que nous ne dispersions ni notre énergie ni nos engagements dans des fréquentations de passage.

Ce revirement sur le plan amoureux restait compatible avec ma vision initiale de l'amitié : celle d'une famille de cœur, solidaire, présente, aimante. Aujourd'hui encore, je m'accroche à un idéal d'amitié qui se bâtit au long court sur les plus belles valeurs humaines, et je m'applique à faire ma part du mieux que je peux.

Désacralisation de l'amitié

Au fil de ces ajustements relationnels, je suis devenue plus lucide sur les manquements et les abus d'une partie de mon entourage, et surtout plus ferme. J'ai dû me l'avouer à chaque rupture ces dernières années, lorsque j'ai été sur le point de sacrifier ma santé, mon foyer ou encore mon intégrité sur l'autel de l'amitié : l'amitié n'est pas au-dessus de tout.

Aucune amitié, aussi complice soit-elle, ne mérite que je m'engage à mentir à mes proches.
Aucune amitié, aussi dévouée soit-elle, ne mérite que j'absorbe à m'en rendre malade d'angoisse.
Aucune amitié, aussi expansive soit-elle, ne mérite que je subisse des exhibitions qui me dégoûtent. 
Aucune amitié, aussi fusionnelle soit-elle, ne mérite que je laisse mon mariage pâtir de sollicitations intempestives.

Alors, si l'amitié n'était finalement pas sacrée à mes yeux, qu'est-ce qui l'était ? La loyauté, la sincérité, la générosité... dont l'amitié est un canal, et non une idole. En réalité, nombre de mes "amis" pervertissaient ces valeurs en prétendant les édifier.

Aujourd'hui, la famille que je choisis est celle que j'ai fondée.

15
May
2025

Le vingtième apéro-photo

Hier soir j'animais le vingtième apéro-photo d'Espace Pose. C'était également la dernière fois que je m'y rendais en tant que présidente.

Ce soir, je réalise qu'après la création de l'association, je n'ai pas documenté les événements organisés dans le cadre d'Espace Pose. Et c'est fort dommage, au vu des investissements de chacun comme du résultat collectif, en passant par les divers rebondissements qui ont ponctué cette aventure. Une aventure qui m'a permis de réaliser qu'on ne peut pas concrétiser une vision sans se connaître soi-même.

En effet, en portant ce projet pendant deux ans, j'ai enfilé des casquettes qui m'ont confrontée à qui je suis lorsque je sollicite, lorsque je dirige, lorsque je transmets... de comprendre où étaient mes axes d'évolution, quelles étaient mes véritables priorités, de qui je souhaitais être entourée et au final, qui j'aspirais à devenir ; des lignes toujours mouvantes, qui m'ont néanmoins confirmé que je n'aime ni être à la tête de tout un groupe, ni devenir la figure personnifiée d'un mouvement.

Aussi, je me félicite d'avoir, dès les débuts d'Espace Pose, choisi de m'effacer des communications officielles.
C'est dans l'ombre que ces remises en question personnelles ont continuellement ajusté la direction, et surtout renouvelé mon énergie pour persévérer dans cette mission jusqu'à ce que je sois entièrement relayée.

Espace Pose, en quelques chiffres, c'est aujourd'hui :
→ une trentaine d'adhérents
→ une quinzaine de membres actifs
→ une vingtaine d'apéro-photos mensuels, sans interruption, qui comptent en moyenne 25 participants
→ un meet-up photo complet
→ une trésorerie pérenne pour au moins cinq années sereines

Espace Pose, ça a aussi été...
→ un esseulement tenace durant toute la première année
→ des promesses empoisonnées
→ des désillusions latentes et des ponts coupés avec deux de mes meilleurs amis
→ une perte de sens progressive
→ un burn-out au bout de neuf mois

Mais Espace Pose, ce sera surtout...
→ de la bienveillance et des encouragements
→ une solidarité active dès la deuxième année
→ de très belles rencontres humaines et des amitiés renforcées
→ des leçons de vie inimitables
→ une vraie petite communauté photographique bourguignonne, inexistante il y a seulement deux ans... et désormais autonome

27
Apr
2025

Débuts au stylet

En septembre dernier, pendant notre voyage de noces, j'ai fait part à mon mari de mon désir de développer un nouveau savoir-faire : le dessin numérique. Je venais de consacrer un semestre à me former au copywriting, je souhaitais enchaîner avec une discipline offrant plus de liberté artistique.

J'y voyais de surcroît l'opportunité de compléter mes offres de services dans le web avec des compétences supplémentaires liées à l'identité visuelle, comme la création de visuels, de polices, de logos...

J'ai investi dans la tablette Wacom dont je rêvais depuis des années, j'ai installé Krita sur le conseil de ma cousine graphiste, et je me suis lancée avec un objectif qui me semblait raisonnable : un dessin par jour.

Comme lorsque j'avais débuté la photographie, j'avais tendance à comparer le résultat obtenu à celui que j'avais fantasmé, et à déprimer de l'écart entre les deux. Néanmoins, ma frustration a été bien plus forte en partant avec un niveau correct en dessin qu'en partant de zéro dans la photographie : naïvement, j'avais imaginé que ce serait "comme en vrai, avec le Ctrl+Z en plus". En plus de la découverte de la multitude d'outils, j'ai submergée par la différence de sensations avec le papier, et au bout de deux semaines, je ne supportais plus la médiocrité de mes tentatives.

J'y suis revenue quelques mois plus tard, au deuxième trimestre de ma grossesse, en décidant cette fois de ne plus chercher à produire des tableaux entiers mais de me concentrer sur des objectifs intermédiaires. Le premier était de développer un coup de stylet plus précis pour simplement dessiner des contours sans trembler... Et j'ai aujourd'hui la satisfaction d'y être parvenue avec ce petit croquis de Kriss de Valnor.

13
Apr
2025

Le premier coup

J'ai été réveillée ce matin par un petit choc près de mon nombril. J'ai attrapé la main de mon mari encore somnolent, pour la poser sur mon ventre. Nous avons patienté en silence, attentifs au barbotement diffus sous nos doigts... jusqu'à sentir un coup, puis un autre. Cette première communion sensorielle dans notre intimité familiale, ce petit cadeau de la Vie, marque en douceur le passage à la seconde moitié de ma grossesse.

La première moitié, très chaotique et solitaire, a nécessité beaucoup d'ajustements intérieurs, ce qui l'a rendue particulièrement propice à l'introspection et à l'écriture. Je pense qu'aujourd'hui est un bon jour pour en synthétiser les leçons et en délivrer les messages.

Ce que j'ai appris du début de ma grossesse

Cette grossesse est désirée depuis plusieurs années déjà. Si tout semble s'accélérer à une allure folle depuis l'achat de notre maison, n'oublions pas que nous avions auparavant reporté notre projet de famille de quelques années, le temps que je sorte de l'errance médicale autour de mes troubles digestifs puis que j'en guérisse. Ensuite, nous avions tenté de concevoir sans succès durant un an. Ma nouvelle gynécologue nous a alors dirigés vers l'Institut de la Fertilité de Dijon, où nous avons été pris en charge avec beaucoup de bienveillance.

Une nouvelle année plus tard, nous avions enfin une proposition d'assistance médicale, à laquelle mon corps s'est montré réceptif... très réceptif : j'ai ovulé trop tôt durant le cycle de test, avec le risque d'attendre des quadruplés.

Le lâcher-prise incontournable

Ce qui aurait dû être la plus belle nouvelle de toute ma vie, "je suis enceinte", a été d'abord une source d'angoisse : je ne parvenais pas à me réjouir sans aucune information sur la viabilité de cette grossesse, et la médecine ne pouvait rien décréter dans un sens ou dans un autre avant un mois.

Rebelotte trois mois plus tard, lorsqu'après un premier dépistage de la trisomie 21, on m'a annoncé que j'étais à risque. Ma gynécologue est partie en vacances au moment de recevoir les résultats du second dépistage, j'en ai donc eu connaissance au rendez-vous du mois suivant.

J'ai réalisé durant ces épisodes que c'était le lot de toutes les mères et qu'il en serait toujours ainsi désormais : craindre le pire. Sauf que pour mon futur enfant, je me dois d'abord de vivre au présent, afin de lui procurer stabilité et quiétude à chaque instant.

Et puis, comme on dit, s'inquiéter ne supprime pas les soucis de demain mais éloigne la paix d'aujourd'hui. Alors ce pire, j'apprends à l'envisager et à le remettre à la place qui lui revient, celui d'une éventualité parmi tant d'autres auxquelles je ne peux rien aujourd'hui.

Un amour-propre inconditionnel

J'ai également dû lâcher prise sur un aspect de mon quotidien plus discret mais plus pernicieux : l'autodiscipline.

Après ma crise de sens lors du premier confinement du Covid-21, je m'étais imposé une hygiène de vie inspirée des 4 conseils de Marisa Peer pour les entrepreneurs et les sportifs. Elle m'avait permis d'atteindre un bon niveau de productivité tant dans mes activités professionnelles que personnelles, de mener huit projets simultanés jusqu'à leur terme. Surtout, elle m'avait sortie durablement de l'immobilisme, en jalonnant mon sentiment de progression de repères concrets qui créaient un cercle vertueux : ma confiance se nourrissait de ma performance, et réciproquement.

Cependant, à l'apparition des nausées aléatoires dès le second mois, je ne pouvais plus maintenir aucun rythme. Au pied du mur, j'ai fait le point sur ce que je disais à mon inconscient avec une telle routine : commencer la journée avec quelque chose que l'on n'a pas envie de faire, cela conditionne à associer la réussite à l'effort quotidien, au mérite : il faut faire pour obtenir. Et cela fonctionnait à merveille pour le développement logiciel, les projets photo, l'associatif...

Or, la gestation est un état de création, pas une action à exécuter pour en récolter les fruits.

Je crois toujours que les habitudes, et particulièrement la première action au lever, conditionnent l'état d'esprit quotidien, mais désormais, je commence chaque journée avec un plaisir. Pas d'habituation à la pénibilité, pas de récompense délayée... je m'octroie des attentions instantanément et sans contrepartie, ce qui ancre une sérénité salvatrice : tout l'amour, toutes les ressources à ma disposition chaque jour que Dieu fait, tout ce dont j'ai besoin est déjà là pour moi.

Je n'ai ni à conquérir, ni à quémander, je suis digne à chaque instant de ce que je reçois, pour le transformer et le sublimer...

La déconstruction de l'égalité

Mon mari ne pourra jamais me relayer pour porter nos enfants, et de mon côté, je ne pourrai pas reprendre un travail salarié avant quelques années.

Cet état de fait a achevé une transition majeure que notre couple a entamée lorsque j'ai quitté mon poste de développeur logiciel : nous sommes passés de deux ingénieurs indifférenciés, souvent frustrés dans le partage des charges et des tâches quotidiennes à 50-50... aux rôles bien distincts de la mère au foyer et du pourvoyeur de la famille, épanouis dans la répartition complémentaire du temps de travail envers, respectivement, l'intérieur et l'extérieur du foyer.

J'ai conservé ma micro-entreprise pour mes activités secondaires dans le web et la photographie, mais mon métier principal est désormais de régenter notre chez-nous.

Cela semble aisé en théorie. En pratique, il m'aura fallu une année complète pour le vivre avec naturel, sans culpabilité insidieuse ni pensées parasites... Ce parcours, enrichi de l'expériences de mes amies ayant fait le même choix, fera sans doute l'objet d'un article.

Toujours est-il qu'aujourd'hui, je suis ravie de travailler pour notre maison plutôt que pour une entreprise qui n'est pas la mienne, auprès de l'homme qui œuvre à mon bonheur plutôt que d'un patron qui priorise sa rentabilité.

L'harmonie par la spécialisation

Bien sûr, depuis que je suis entièrement en charge de notre intérieur, nous mangeons mieux et nos espaces sont mieux rangés. Mais ce que j'accomplis, c'est bien plus que remplir nos estomacs ou maintenir un environnement propre et fonctionnel... En ayant plus de temps pour cuisiner nos repas, j'en fais chaque jour des rituels de connexion et d'amour. En ayant plus de temps pour aménager chaque recoin de notre maison, j'en fais de petits cocons de convivialité.

Grâce à cela, mon mari n'a jamais été aussi radieux à son travail comme à ses temps de repos. Alors que ses efforts pour l'agréabilité du foyer se heurtaient au jour-le-jour à un plafond de verre, aujourd'hui, il fait bien plus que gérer nos investissements et payer nos charges : il me décharge de toute anxiété liée à notre sécurité matérielle et à notre futur.

Lorsque nous gérions tout à deux, lorsque nous devions chacun penser à tout, avec tant de context switching au quotidien, nous ne nous sentions pas relayés mais éparpillés... et régulièrement épuisés.

Nous restons autonomes en cas de besoin et il arrive souvent que l'un épaule l'autre dans ses attributions. Néanmoins, cela est reçu comme de l'aide, du soin, un don plutôt qu'un dû ; et surtout, cette spécialisation a divisé notre charge mentale par deux : nous sommes bien plus heureux en contribuant là où nous sommes naturellement meilleurs, et même dans la difficulté, cet échange quotidien constitue une source de gratitude infinie.

Nos revenus ont diminué, notre qualité de vie a bondi ; cela n'a pas de prix.

Une organisation permissive

J'ai beau être devenue responsable de notre bien-être au sein du foyer, il m'est impossible de maintenir la même rigueur qu'il y a un an dans mon nouvel état.

Je me suis réconciliée avec cette diminution de productivité car la santé de notre enfant à naître passe avant tout, et passe d'abord par la mienne. Je n'ai pas vraiment eu le loisir de tergiverser sur ce point, chaque coup de barre qui n'a pas été suivi d'une sieste complète a été durement payé le lendemain.

Puis j'ai trouvé la formule qui me convenait lors du troisième mois, après l'arrivée de notre chiot qui nous gratifie d'amour et de traces de boue : planifier des tentatives plutôt que des résultats. Au lieu de faire un gros ménage une fois par semaine, qui me décourage d'avance au point de reporter au moindre petit coup de mou, je le commence deux fois par semaine et le continue le temps que je peux... parfois seulement cinq minutes ! Résultat, notre rez-de-chaussée n'a jamais été aussi propre en continu. Mieux vaut fait que parfait...

Cette nouvelle forme de discipline a fonctionné pour les travaux domestiques, j'ai commencé à l'étendre aux exercices physiques au second semestre et je prévois d'y ajouter la création artistique au troisième.

L'absolu et l'impermanence

Chaque révélation reçue et expérimentée depuis le début de cette grossesse en a renversé d'autres plus anciennes, que je croyais pourtant définitivement acquises. Et nul doute que cela évoluera à nouveau.

Mon mari et moi nous autorisons toujours à changer. D'ailleurs, nous avons toujours eu bien des différences, mais au-dessus d'elles, le même sacré. Nous nous dirigeons ensemble vers notre destination commune, et rien ne nous empêche de modifier l'itinéraire, tant que nous ne perdons pas le Nord.

29
Aug
2024

Le feu ça brûle, mais ce n'est pas la faute du pyromane...

... et justement, ce n'est pas ce pour quoi il est incriminé.

Il y a bientôt deux ans, je réfléchissais au poids des mots.

Il me paraît toujours aussi écrasant, non par ce que les mots décrivent, mais par ce qu'ils révèlent : si je suis peu sensible aux compliments et aux promesses, je peux vriller à l'utilisation d'un seul terme qui trahit toute une intention.

J'ai tenté de maîtriser ce pouvoir

Depuis toujours, quel que soit le fond que je tente de transmettre, j'essaie d'utiliser les mots les plus justes.

Je voulais exposer une pensée transparente, car je croyais que c'était la voie la plus efficace pour me faire comprendre, et la plus honnête pour des relations équilibrées. Et c'était là mon erreur : croire que pour susciter l'empathie dans mes moments de détresse, mes mots suffiraient.

Ces mots, je pouvais les dire sur le ton de l'angoisse, de la colère ou de l'épuisement... ils étaient entendus et aussitôt oubliés. Et je n'avais aucune autre forme de soutien que des mots dans le vent.

Pendant ce temps, en voulant remplir ce que je pensais être mon devoir de loyauté, j'offrais une présence véritable, une disponibilité permanente et inconditionnelle. Enfin, j'essayais.

Même le roseau finit par rompre à force de plier

Une fois de plus, j'ai vu mon énergie s'amenuiser lorsque mes impératifs personnels sont revenus sur le devant de la scène, concurrençant alors les sollicitations extérieures pour épuiser, inexorablement, l'attention et la patience que je pouvais leur consacrer.

Et on me l'a fait payer, cher. Trop cher pour conserver l'envie de m'investir dans un rapport unilatéral, consistant à remplir indéfiniment un panier percé...

Ce que j'ai appris de mes ruptures amicales

Dans une lettre de rupture amicale il y a deux ans, je citais la moniale bouddhiste Pema Chodron :

La douleur continuera jusqu'à ce que la leçon soit apprise

Mais ma leçon à moi, je n'avais pas fini de l'apprendre, et alors que tout était déjà sous mes yeux, j'ai répété trois erreurs de jugement.

Erreur de jugement #1

Je pensais qu'une personne trop gentille, voire totalement soumise aux caprices de l'un de ses proches, est par son pacifisme trop inoffensive pour me faire du mal.

Cela s'est révélé vrai pour certaines.

Pour d'autres, c'est en réalité le signe que cela fait partie de leur norme... et qu'elles peuvent elles-mêmes adopter ces comportements maltraitants, à leur tour, en d'autres circonstances.

Avec moi, par exemple.

Erreur de jugement #2

Une personne qui m'offre un réconfort généreux dans mes échecs, n'œuvre pas forcément à mon bonheur.

J'ai entendu tant de mises en garde contre le copinage exclusif aux bons moments, que j'imaginais mal l'inverse... qui tient pourtant de la même lâcheté. Être présent pour l'autre lors de ses difficultés personnelles, celles sur lesquelles on n'a aucune influence, cela ne demande aucun courage.

Je l'ai réalisé auprès de certaines personnes qui proposaient souvent, promptement, un soutien réservé aux épreuves qui n'engagent à rien : lorsqu'est venu le temps des promesses aux conséquences concrètes, leur attitude a radicalement changé.

Alors que je les imaginais accompagner et célébrer mes réussites, leurs actes ont révélé pire qu'un abandon programmé : un immobilisme qui, une fois démasqué, s'est mué en sabotage décomplexé.

Erreur de jugement #3

Je me fiais trop à mon intuition de départ.

Si elle m'a permis de filtrer d'office de nombreuses personnes, dont le comportement avec des amis communs s'est avéré néfaste, toxique et vicieux... avec d'autres, elle mettait en exergue leurs plus belles facettes. Et par la suite, en voulant rester optimiste, je me laissais aveugler par mes biais de confirmation : en me concentrant sur le meilleur, j'occultais le pire. Jusqu'à ce qu'il explose.

La meilleure version d'une personne mérite toujours d'être valorisée, mais j'apprendrai à ne plus minorer les défauts qui l'en écartent ; car les ignorer permet à la pire de s'imposer petit-à-petit, pour finir en roue libre.

21
Feb
2024

外婆

En Chine, on ne place pas nos aînés en maison de retraite, ils vivent avec leurs enfants et élèvent avec eux leurs propres enfants.

La grand-mère qui m'a élevée est partie brutalement la semaine dernière, auprès de mes tantes à Wuhan. Nous n'avons pas pu lui dire au revoir, nous ne pourrons pas déposer d'offrandes sur son autel, et surtout, pour la première fois de ma vie, je dois vivre le deuil sans pouvoir me recueillir devant la dépouille.

J'ai échangé avec une demi-douzaine de personnes ayant elles aussi perdu quelqu'un sans pouvoir voir le corps. Des histoires poignantes et des regrets.

Le meilleur conseil que j'ai reçu m'a été donné par ma cousine Cécile : faire le deuil dans la matière. S'il n'est que dans ma tête, comme une théorie qu'on pourrait remettre en question, je ne pourrais pas rompre le cycle progressivement infernal des périodes où la personne ne semble pas vraiment partie suivies de celles où je réalise à nouveau son départ.

Alors, je prévois d'organiser des funérailles chez moi, seule, en me représentant son corps au travers d'un portrait tiré sur du papier de soie. Et pour m'adresser à elle dans la seule langue que l'on a partagée, je réapprends le mandarin en chantant des comptines chinoises.

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